Le langage n’est plus dans les mots, il est dans le silence, ...

 


"Le langage n’est plus dans les mots, il est dans le silence, dans cet éther ou baigne l’intuition et la parole intérieure."



"Celui qui regarde à l’extérieur rêve.  Celui qui regarde à l’intérieur est éveillé."

Carl Gustav Jung




 Carl Jung (médecin psychiatre suisse 1875 – 1961) est le fondateur de la psychologie analytique mais il est surtout connu également pour l’interprétation symbolique des rêves. Nous ne parlerons pas de psychanalyse ici. Cette sentence est étonnante de la part d’un spécialiste des rêves. En effet la première partie,

« celui qui regarde à l’extérieur rêve », semble pour ma part, avoir une connotation négative par rapport à la seconde partie de la phrase :

« celui qui regarde à l’intérieur est éveillé ». Le regard est un miroir de l’âme qui traduit aussi bien les passions que les pouvoirs magiques.

En effet le regard tue, le regard foudroie, séduit, fascine et il révèle non seulement celui qui regarde mais aussi celui qui est regardé, en face, les yeux dans les yeux. On peut faire un clin d’œil, ne regarder que d’un œil, mais faut-il faire confiance à tout ce que l’on voit : Saint-Thomas ne croit que ce qu’il voit.

Ce regard, c’est l’œil qui va regarder au loin, à l’extérieur. Est-ce que tout ce que l’on voit est réel ? Le regard nous montre-t-il la vérité des choses, ?. Pourtant, on peut être induit en erreur et comme dit le dicton : « tout ce qui brille n’est pas or ». On a donc la nécessité d’avoir une interprétation de ce que l’on voit, interprétation qui va être très souvent culturelle ou sociale … ou les deux à la fois !.. Ce regard vers l’extérieur peut être aussi une illusion d’optique comme les mirages dans le désert .





Ce regard vers l’extérieur permet non seulement de voir mais aussi d’être vu, et nous savons combien l’ego enfle lorsqu’on est vu, connu, reconnu et qui à la longue, semble être mal vu. Au Moyen Âge, être mal vu était source de péché. On se retrouvai très souvent au bûcher. L ’œil ne voit pas tout et il est des réalités invisibles : on fait alors appel à la raison et à la science comme par exemple les ondes ou les radiations qui sont réelles mais non visibles. Le rêve dans cette phrase signifie courir après ses chimères. Et celui qui regarde à l'extérieur aurait une vue superficielle, rapide . Si l’on dit superficiel, cela signifie que l’on ne voit pas en profondeur les choses et que l’on passe à côté, peut-être de l’essentiel.,. Le rêve dans ce sens signifie l’ inaction. Le rêveur dans ce sens-là s’abandonne à son imaginaire dans une immobilité tranquille. Pourtant, le rêve peut permettre l’action, être un moteur et dans ce cas le rêve n’est pas si négatif. Peut-on choisir : vivre sa vie ou vivre ses rêves ? On peut dire aussi que vivre est la plus belle façon de rêver, quand ces rêves nous transportent pour vivre des moments forts.

Tout le monde a des rêves et on peut se laisser guider parfois par nos émotions. Les romantiques et Jean-Jacques Rousseau en particulier ont célébré ces « rêveries du promeneur solitaire ». Dans cette phrase « celui qui regarde à l’extérieur rêve », …Est-ce un refuge dans l’imaginaire ou bien est ce une peur du réel, un refus de la vie de tous les jours, un refus de la réalité. (On mettra ici de côté le symbolisme des rêves et le souhait inconscient que proposent les rêves). 

La seconde partie : « celui qui regarde vers l’intérieur est éveillé » semble avoir la préférence de JUNG. C’est l’introspection qui est mise en valeur. De nombreuses citations parcourent les siècles dans le même sens : « on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux » Saint-Exupéry, en passant par le kabbaliste célèbre Nahman de Breslau en Ukraine : « Si tu veux voyager vite regarde loin devant toi , Si tu veux voyager loin ,regarde au fond de toi » 18° siècle. Cette seconde phrase nous propose une prise de conscience de notre état, de soi-même. C’est le « Gnauti Seauton », « connais-toi toi-même » gravé au fronton du temple de Delphes. Cela permettrait d’arriver à l’Homme Total, à l’Homme Véritable. C’est l’accession à la vérité sur soi-même, mais il semble que tout le monde n'en soit pas capable, et que cela nécessite ,non seulement la volonté , mais aussi une initiation longue et difficile. Peu d’hommes arrivent seuls à l'état d'éveil ( Bouddha signifie Éveillé ),et Siddharta est arrivé tout seul à cet état d'éveil. En général, l’initiation se fait avec un Maître ou en groupe. On ne peut savoir à quel moment de la vie, l’homme peut être amené à s’interroger sur lui-même : quelquefois c’est dans la jeunesse, le plus souvent, la deuxième partie de la vie, après avoir eu une certaine expérience. Un proverbe chinois dit : « quand l’élève est prêt, le Maître arrive ». Regarder les choses en face, c’est faire un travail sur soi, et ce n’est pas pour rien que l’on emploie le mot travail. Travail long et difficile, qui nécessite de ne pas avoir peur de ce que l’on peut trouver de soi-même. Ceci me semble être valorisé dans toutes les cultures. Mais il faut répondre à deux questions : pourquoi et comment. Pourquoi cette recherche de spiritualité, cette recherche de transcendance à la découverte de l’immanence. L’homme a besoin de chercher et si possible d’entrer en relation avec un absolu pour tenter d’échapper ou d’expliquer sa finitude. C’est pour l’homme en recherche, l’invitation au voyage : non pas le voyage extérieur géographique, touristique, mais un voyage intérieur : intériorisé dans la solitude, l’esseulement. C’est le voyage vers le désert intérieur. Comme dans le désert, l’homme est seul face à l'immensité de sa conscience. Le langage n’est plus dans les mots, il est dans le silence, dans cet éther ou baigne l’intuition et la parole intérieure.

Dans la tradition juive, selon Nahman de Bretslaw, « il faut consacrer une heure chaque jour, seul, pour parler à Dieu, ».

Dans la tradition chrétienne, pour Saint Mathieu , le désert est le repaire des démons. Le désert va être le purgatoire , le lieu de dépouillement et le lieu du combat contre les démons ,C’est ainsi que les Pères du désert dans les premiers siècles ,choisissent de vivre au désert à titre individuel pour chasser leurs démons intérieurs. Mais très vite, l’homme va comprendre qu’il n’a pas besoin du vrai désert pour se retirer du monde, d’être ermite (de Eremos = desert en grec ). Il pouvait se retirer au monastère en une vie contemplative qui était l’équivalent symbolique de la retraite au désert. Il convient alors dans ce cas, de parler de la fuite du monde, fuite du monde afin de ne pas lui appartenir et de vaquer uniquement à Dieu dans le silence.

Dans cette école du désert, l’homme va faire le vide autour de lui et en lui. Cette purification va le conduire à accepter librement les renoncements nécessaires et s’abandonner ensuite l’écoute de sa parole intérieure. Pour découvrir quoi ? Quelle vérité ? Pour découvrir Sa vérité , découvrir Son fond secret, qui n’est secret que parce qu’il est caché, et il n’est caché que pour être découvert. Il va donc y avoir des étapes successives dans lequel le « vieil homme » s’amenuise au fur et à mesure que « l’homme nouveau » apparaît.

Quel est le cheminement de l’homme nouveau, celui qui va vers l’éveil ? Tout d’abord, l’homme du désert intérieur va migrer (c’est-à-dire qu’il va se retirer de sa vie habituelle pour aller émigrer en lui-même). Il y a une sortie de soi pour aller vers une entrée en soi. Chez certains mystiques, la solitude est un choix personnel, une option pour l’absolu. Le refus de prendre un conjoint , n’est pas considéré comme un renoncement imposé ,mais un choix personnel. Il éprouve l’impression d’être une totalité et il se suffit. Le seul problème c’est la difficulté de maintenir cette solitude de façon durable. Mais il répond à son appel intérieur pour communier en toute plénitude avec la déité qui l’habite. Par ailleurs, l’ascèse du corps va avec l’ascèse alimentaire ou tous les excès sont interdits et ce nouveau mode de vie modifie complètement l’existence. Elle est transformatrice. C’est la nudité de la foi et tout s’évanouit face à ce détachement. Regarder au fond de soi passe par le silence.

Le vacarme assourdissant du silence, masque la tempête sous un crâne, tempête phénoménale . Il y a une densité du silence et une profondeur du silence telle que…. le silence se fait voix. Le silence nous parle. Le silence se fait regard comme pour dire : le temps et l’espace n’existe plus. Le silence est fils d’éternité. Alors tout vibre, tout rentre en résonance, corps et âme, et l’homme devient un instrument de musique dont les cordes sont touchées sans percevoir celui qui manie l’archet. L’homme a décollé vers un autre niveau…, vers la lumière ?. Traversé par le silence, absent de lui-même ou bien complètement présent, il se sent en communion mystique avec la totalité. Pour ceux qui ont vécu une telle expérience, le retour à monde profane leur paraît tellement fade qu’ils ne regrettent rien. Il en faut du courage pour être un éveillé : rompre avec sa famille, rompre avec son milieu social, culturel, supporter les railleries de ses amis , mais aussi tenir tête aux fameux « bons conseils à un ami » , tenir tête à ceux qui essaient de faire rentrer au bercail l’agneau qui ne pouvait supporter une bergerie anesthésiante.

L’homme est fait pour la liberté, mais la liberté n’est conquise qu’au-delà d’un esclavage, au-delà d’un enracinement. L’homme cherche et marche vers la liberté, c’est toute la symbolique du passage. Dans la tradition maçonnique, la quête initiatique propose de devenir soi même mais pour cela il faut arracher le masque. On va proposer au profane qui frappe à la porte du temple une nouvelle voix très progressive de transformation de lui-même mais aussi de son rapport à l’autre. La fraternité dans la loge permet momentanément de se mettre à nu devant autrui, de se révéler totalement, c'est-à-dire d’enlever notre façade protectrice. Cette recherche de soi-même se fait au fur et à mesure des années de présence dans une loge que l’on considère comme une mère , d’où la notion de loge mère .


« Le plus grand voyageur n’est pas celui qui fait 10 fois le tour du monde mais celui qui fait une seule fois le tour de lui-même »
. Gandhi .

Toutes les traditions et les religions disent la même chose pour aboutir au même point. : Pour aboutir à l’homme nouveau. Elles diffèrent par la manière d’y parvenir. Chacun va suivre sa voie unique. En somme, tous les chemins mènent à Rome… À condition de cheminer. Aujourd’hui, comment se fait-il qu’il y ait tant d’hommes et de femmes, des Messieurs tout le monde, anonymes dans leur démarche qui tentent l’aventure du désert intérieur ? Les courses autour du monde, à la voile, en solitaire, les expéditions au Grand Nord, les traversées d’océan à la rame, ou le tour du monde en bicyclette. Tous mettent en avant, non pas la découverte du monde extérieur, mais la découverte de leur monde intérieur, d’apaiser le feu existentiel qui les pousse en avant. L’effort, le silence, la solitude sont leur dénominateur commun. « Vaincre, c’est se vaincre soi-même » dit Jean-Louis Étienne lors de son expédition au pôle Nord et il rajoute :

« Je suis revenu allumé de l’intérieur » A remarquer cependant, que pas un seul, ne met en avant la notion de religion. Tous veulent se prouver à eux-mêmes qu’ils sont source de vie, qu’ils ont des capacités insoupçonnées à faire valoir et qu’ils valent autre chose qu’un « métro – boulot – dodo », qu’un numéro de matricule anonyme. Il existe en eux un sursaut d’être Homme. Ceci n’est pas spécifique à notre époque. De tout temps et en tout lieu, il y a toujours eu des êtres qui préféraient , la contemplation à l’action, le silence à la parole. Mais de tout temps aussi, que ce soient les religions établies ou les tyrans, les sectes en tout genre et les dictateurs totalitaires, tous ont conspiré contre cette parcelle de liberté, cette semence de bonheur, cet idéal d’humanité que représente la liberté de conscience, le désert intérieur à la recherche de la quintessence, à la recherche de Dieu pour les uns, ou du sacré, puis pour le dépasser, à la recherche de l’homme dans sa totalité.

Alors se dessine aujourd’hui les contours de l’homme nouveau. Celui d’un homme ou d’une femme du XXIe siècle qui a une exigence plus fine pour la recherche de Sa vérité : il éprouve la nécessité de communier à l’universel, de partager la connaissance et l’amour de l’autre. Il tend vers l’union. Un seul banquet existe et tout le monde est invité : le sacré préside le festin. Toutes les voies sont différentes et seule la voie du désert intérieur, la voix de l’introspection est commune à toutes les traditions et les religions.

Tous ces anonymes que l’on ne reconnaît en rien, qui parlent comme tout le monde, qui s’habillent comme tout le monde, qui travaillent comme tout le monde , vivent intensément leur quête. C’est l’émergence du sacré chez les laïcs. Et ce sacré n’est pas confisqué par les paroisses officielles.

Ceux-là vivent intensément leur bonheur d’homme nouveau. Alors….. Avez-vous compris que l’homme nouveau… C’était vous !!! Ces hommes épris de liberté, liberté de conscience, vous qui glorifiez le travail et le travail intérieur, vous pour qui le sacré est sacré !! Vous êtes les hommes de demain. Un jour vous avez réfléchi sur vous-même : « mais qu’est-ce que je fais là tout seul, ….en quoi puis-je me rendre utile ?. Est-ce que ma vie ne peut pas être meilleure que ce que j’ai aujourd’hui ? mais dans ce cas la , pourquoi ne pas être utile aux autres. » Vous avez démarré une méditation en pleine conscience , voire même une méditation introspective . Vous pouvez continuer et aller plus loin. Participer à des associations humanitaires, des Restos du Cœur … à l’aide aux enfants malades ou aux enfants défavorisés, participer à des associations comme la FM ,c’est resserrer des liens de fraternité entre les hommes et les femmes ,c’est être sur le chemin de l’homme nouveau. Pratiquer l’entraide, c’est être heureux une fois qu’on l’a fait. Vous êtes sur le chemin, celui qui vous réconfortera et qui donnera un sens à votre vie. Alors chacun fait ce qu’il peut , et le peu qu’il peut faire, c’est mieux que rien. La FM est une tradition vectrice de liberté pour peu qu’elle admette en son sein des hommes et des femmes qui veulent être sur le chemin « in- itium ». Respecter les traditions initiatiques dans la modernité, c’est le pari sur l’avenir que vous ne pouvez manquer. 


Homme du désert intérieur, vous faites partie du désert moderne, c’est-à-dire de l’avenir. Le voyage ne nous fait pas peur. « Il n’y a que deux conduites avec la vie,… où on la rêve, où on l’accomplit » René Char. 

Alors, laissez le rêve vous envahir et ne pensez qu’au bonheur, ici et maintenant. Garder en mémoire la phrase de l’Évangile : « ils ont des yeux et ne voient point. ». Alors, ouvrez grand les yeux, ouvrez grand vos oreilles ….et surtout… ouvrez grand votre cœur , et méditez sur ce verset de la Genèse , dans l’Ancien Testament ,qui résume le tout en deux mots : ":LEH –LEHA "

« va vers toi ». Vous êtes sur le chemin … Alors… Bonne chance sur votre chemin. 

Roger.


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