LA SYMBOLIQUE CHRÉTIENNE DES COULEURS Le langage de la foi n’utilise pas seulement les mots mais aussi les images et les symboles. Jean-Bruno Renard a présenté dans la revue française Foi et Langage, dirigée par Alain Guillermou et hélas disparue depuis plus de quinze ans, une remarquable initiation au symbolisme des couleurs selon la tradition chrétienne


LA SYMBOLIQUE CHRÉTIENNE DES COULEURS (I)
Saint Apollinaire in classe, Ravenne, Italie.
Le langage de la foi n’utilise pas seulement les mots mais aussi les images et les symboles. Jean-Bruno Renard a présenté dans la revue française Foi et Langage, dirigée par Alain Guillermou et hélas disparue depuis plus de quinze ans, une remarquable initiation au symbolisme des couleurs selon la tradition chrétienne : il s’agit des numéros 14 et 15 (2e et 3e trimestres 1980). La mise en œuvre d’une approche anthropologique des symboles permet d’en dégager la richesse sémantique. Nous sommes certains de rendre service à nos lecteurs en publiant, en deux fois, de larges extraits de cet article touchant une question rarement abordée dans la liturgie catholique de rite latin.
Les couleurs sont des objets symboliques dont il est difficile de parler. C’est pourquoi la détermination de la couleur d’un objet est très subjective : une turquoise semblera verte à l’un et bleue à l’autre ; un morceau de corail paraîtra rouge à l’un et orangé à l’autre. C’est pourquoi aussi le vocabulaire des couleurs est spécifique de chaque langue et de chaque culture.
Les difficultés de traduction des termes chromatiques d’une langue à une autre sont aussi grandes que pour les termes abstraits et philosophiques. Les concordances sont toujours approximatives : ainsi le mot latin “ caeruleus ” signifie en réalité un bleu plus foncé que ne le suggère pourtant la traduction littérale “ bleu ciel ”, tout simplement parce que le firmament italien est d’une teinte plus sombre que le ciel du nord ; ainsi encore le latin “ purpureus ” signifie-t-il selon le contexte “rouge ”, “ pourpre ” ou “ violet ”. Il arrive même parfois que des couleurs parmi les plus élémentaires n’aient pas leur équivalent : en langue bretonne par exemple – comme en langue aztèque d’ailleurs !– il n’y a qu’un seul mot pour désigner le vert et le bleu (“ glas”). En Afrique Occidentale, le jaune est considéré comme une variante du rouge et le bleu ainsi que le vert foncé comme des variantes du noir.
La dimension éminemment culturelle de la terminologie des couleurs apparaît avec netteté dans le choix des couleurs de base, souvent tirées de l’observation de l’arc-en-ciel. Aristote distingue seulement quatre couleurs : le rouge, l’orangé-jaune, le vert et le violet. De même les Dogons du Mali : rouge, jaune, vert clair, noir. Les Chinois ont un système traditionnel à cinq couleurs : rouge, jaune, blanc, vert, noir. Sénèque observe également cinq couleurs : rouge, orangé-jaune, vert, bleu foncé et violet. Et l’on sait que notre système occidental actuel distingue sept couleurs dans le spectre de la lumière : rouge, orangé-jaune, vert, bleu, indigo et violet.
Le petit nombre des couleurs de base, à partir desquelles les autres couleurs sont conçues comme des dérivées ou des variantes, assure une certaine universalité au lexique chromatique. De plus, la pensée symbolique, si elle diffère dans ses énoncés, variables selon les cultures, est universelle dans ses règles, ainsi que l’ont montré Claude Lévi-Strauss et Gilbert Durand. Allons plus loin. On retrouve souvent dans toutes les cultures les mêmes analogies fondamentales empruntées à l’environnement naturel : le bleu, le ciel et le divin; le rouge, le sang et la vie; le noir, la mort et l’angoisse. Tout ceci fait qu’on peut parler à propos des couleurs d’une symbolique universelle de base.
Une fois posés ces quelques principes introductifs, nous tenterons ici une présentation des sept couleurs principales de la symbolique chrétienne : le blanc, le doré, le rouge, le bleu, le vert, le violet et le noir. C’est au XIIe siècle que le sens de ces symboles s’est stabilisé et codifié, dans la liturgie principalement, à partir de diverses traditions : juives, gréco-romaines et même arabes. À la même époque d’ailleurs, l’héraldique fixait également ses règles. L’art chrétien fit un usage fréquent de la couleur non seulement pour les miniatures puis les peintures, mais encore pour les sculptures romanes ou gothiques qui, rappelons-le, étaient à l’origine peintes de couleurs vives.
Le blanc et l’Absolu
Tout se passe comme si les symboliques traditionnelles connaissaient la physique des phénomènes lumineux puisque les couleurs étaient considérées comme des modalités de la lumière. À partir de là, une couleur était d’autant plus noble qu’elle se rapprochait de la lumière. D’où la primauté du blanc – la lumière blanche, brillante, que le regard de l’homme ne peut fixer – sur le doré (lumière du soleil, rayons), le blanc argenté (lumière de la lune), le rouge (lumière du feu) et le bleu clair (lumière de l’air et du ciel). Dans certaines cultures, c’est l’“ irisé ” (blanc avec des reflets d’arc-en-ciel) qui est la couleur suprême : ainsi dans la symbolique du Yoga, le lotus correspondant à l’épanouissement du 7e chakra, le plus élevé, au sommet du crâne, est irisé ; de même, dans l’alchimie, la dernière étape du Grand Œuvre a parfois cette couleur.
Dans l’Antiquité gréco-latine, la couleur blanche était associée au soleil et à la puissance spirituelle. De manière générale, chez les Indo-européens, le blanc est la couleur de la première des trois fonctions : la fonction sacerdotale et de souveraineté (prêtres, juges, magiciens et rois sacrés)1. C’est la couleur des hommes considérés comme intelligents, lucides, illuminés (au bon sens du mot), rayonnants, brillants : on voit que les quatre derniers termes appartiennent au lexique de la lumière ! Chez les Arabes, le blanc est aussi couleur de lumière. Mais c’est plus directement de la symbolique biblique que l’art chrétien a tiré les significations qu’il attribue à la couleur blanche.
Dans l’Ancien Testament, le blanc est la couleur la plus proche de l’ineffable perfection divine. C’est la couleur des apparitions angéliques et des personnages messianiques. Dans un songe, le prophète Daniel voit un Ancien, symbole du Saint Juge de Dieu, “ son vêtement blanc comme la neige ; les cheveux de sa tête, purs comme la laine ” (Dn VII, 9).
Le Nouveau Testament reprend et développe la symbolique de la lumière et du blanc lumineux. Le Christ est la “ lumière, née de la lumière ” (Credo), les croyants sont “la lumière du monde” (Mt V, 14). La scène de la Transfiguration du Christ est célèbre : “ Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements devinrent éblouissants comme la lumière ” (Mt XVII, 2). Les textes de Jean sont riches en symboles lumineux, particulièrement l’Apocalypse : le Fils d’homme a les “ cheveux blancs... comme de la laine blanche, ou de la neige, ses yeux comme une flamme ardente ” (Ap 1, 14). Le premier des cavaliers de l’Apocalypse monte un cheval blanc et symbolise la victoire (Ap VI, 2). Les Élus “ vêtus de robes blanches ” (Ap VII, 9 et 13) “ sont ceux qui viennent de la grande épreuve : ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau ” (Ap VII, 14).
À partir de ces textes, l’art chrétien va adopter le blanc pour figurer les vêtements de Dieu, des anges, du Christ, des Élus, des Baptisés et des Ressuscités. Dans l’Église, seul le Pape a droit au port de la soutane blanche et le blanc est l’une des deux couleurs du drapeau du Vatican.
En tant que couleur des Ressuscités, le blanc est aussi couleur des morts, d’où la blancheur des linceuls. Nous ne sommes donc pas si éloignés de la symbolique africaine qui, comme l’on sait, fait du blanc le symbole de la mort alors qu’en Occident, ce rôle est surtout dévolu au noir. En réalité, c’est moins la signification de la couleur blanche que la conception même de la mort qui distingue la culture africaine de la nôtre. Pour les noirs les morts sont les Ancêtres porteurs de la puissance surnaturelle, garants de l’abondance et de l’harmonie cosmique, de la joie et de la paix. Il n’est donc pas étonnant d’observer une similitude entre les visages peints en blanc des jeunes Africains au premier stade des rites initiatiques, les vêtements blancs que portaient les néophytes de l’Église primitive et la robe des baptisés. L’aube, vêtement liturgique et cérémonial, tire son nom du latin alba, “ blanche ”. Le blanc, symbolise pour chaque initié à la fois sa mort à son ancienne condition et sa renaissance spirituelle.
Dans la liturgie catholique, les ornements blancs sont réservés aux grandes fêtes christiques (Noël, Pâques et temps pascal, Saint Nom de Jésus, Ascension, etc.), aux messes des fêtes des saints non martyrs et aux messes de mariage. Le blanc est la couleur correspondant à l’une des trois vertus théologales : la Foi.
Le sens profane de la couleur blanche – innocence, virginité, chasteté, pureté – ne doit pas cacher son sens religieux, plus profond, de l’Absolue Perfection de Dieu.
Le doré et la révélation
La couleur or est la seconde dans la hiérarchie de proximité à la lumière, après le blanc. En l’absence de ce dernier comme première couleur, c’est l’or qui en occupe la place. Le doré tire sa symbolique de l’or métallique (richesse, inaltérabilité, pureté, lumière solaire), du soleil (lumière, chaleur, puissance) et de ses rayons, des étoiles (lumières, points de repère) ainsi que de la couleur jaune des flammes. Dans de nombreuses traditions, en particulier dans l’alchimie, l’or est considéré comme de la lumière minéralisée, cristallisée.
Dans l’art chrétien, alors que le blanc lumineux est le symbole de la lumière en soi, le doré est le symbole de la lumière qui se manifeste, qui éclaire, autrement dit l’image de la Révélation divine.
Déjà, dans l’Ancien Testament, l’or-métal est utilisé pour les objets du culte : le revêtement des charpentes du sanctuaire, des tables d’oblation et de l’Arche d’Alliance, le candélabre à sept branches, les fils d’or de l’éphod, le pectoral et le diadème du Grand Prêtre (Ex XXXV à XXXIX). Le doré est également associé aux aliments qui symbolisent l’abondance, la fécondité, la Terre Promise : “ Gagnez un pays où ruissellent le lait et le miel ” (Ex XXXIII, 3). “Il ne connaîtra plus les ruisseaux d’huile, les torrents de miel et de laitage ” (Jb XX, 17). On pourrait rajouter des aliments très symboliques comme le beurre, le pain et le vin blanc.
Dans l’Apocalypse, Jean cumule les images de blancheur et d’or : ainsi la Jérusalem céleste (Ap XXI, 18, voir ci-dessus) et les Anges “ portant des robes de lin pur, éblouissantes, serrées à la taille par des ceintures en or ” (Ap XV, 6). L’or apparaît aussi avec le blanc dans le drapeau du Vatican. Sans être l’une des cinq couleurs liturgiques du rite romain, le doré est présent dans des objets du culte comme les calices, les ciboires, les patènes, les croix, les chandeliers et toutes autres pièces d’orfèvrerie sacrée. L’ostensoir exprime avec force le symbolisme du rayonnement à la fois aurifère, solaire et christique. À défaut de métal, l’ornementation utilise les dorures, en particulier sur bois. Quant à l’argent (métal et couleur), c’est une forme inférieure de l’or puisqu’il correspond à la lumière solaire réfractée par la lune.
L’auréole (du latin aureus, “ d’or ”) participe pleinement de la symbolique du doré. Qu’il prenne la forme d’une couronne (auréole proprement dite), d’un disque (nimbe) ou d’une “ gloire ” (ou mandorle, entourant le corps entier du Christ), ce motif n’est pas une exclusivité du christianisme puisqu’on le trouve par exemple autour de la tête des empereurs romains déifiés et comme attribut des Sages en Extrême-Orient. Le symbolisme solaire est ici évident. On retrouve ce symbole, atténué, dans la blondeur des cheveux : ce qui explique pourquoi de nombreux artistes chrétiens représentèrent Jésus avec une chevelure blonde, non pas par ethnocentrisme de peuples de l’Europe du Nord, mais bien dans un but symbolique (de même les Grecs attribuaient au dieu solaire Apollon des cheveux dorés).
Pour Jung, le jaune doré est la couleur qui symbolise l’intuition, et de là l’inspiration divine. Il ne faut pas confondre le doré avec le jaune – principalement le jaune pâle – qui a des significations négatives. Le jaune pâle est en effet associé à la terre stérile, au teint maladif, à l’instabilité. C’est en Occident la couleur de l’infamie. L’art chrétien utilise rarement cette couleur, sinon pour symboliser l’hérésie ou la trahison de Judas.
Le rouge et la puissance
S’il est une couleur à laquelle des significations symboliques sont universellement attribuées, c’est bien le rouge. Dans toutes les cultures cette couleur est associée au feu, – chaleur, puissance, – et au sang – force vitale, sacrifice. L’astrologie la fait correspondre avec la planète Mars et le métal fer.
Dans l’idéologie indo-européenne, le rouge est naturellement la couleur de la fonction guerrière, comme en témoigne par exemple la pourpre impériale des Césars. En Afrique aussi le rouge est la couleur des chefs. Jung y voit le symbole du sentiment et de la passion. En Chine, le rouge est associé au Yang, principe masculin actif, dirigeant et céleste. Il symbolise la joie : on comprend mieux dès lors le succès du rouge révolutionnaire dans la Chine maoïste, qui continue la tradition taoïste. C’est la couleur de la puissance, quelle que soit son origine.
Dans l’Ancien Testament, Dieu se manifeste souvent par l’intermédiaire du feu : le buisson ardent (Ex III, 2), le feu du Mont Sinaï (Ex XIX, 18), la colonne de feu qui guide les Hébreux la nuit (Ex XIII, 21). La Tente de Réunion, dans laquelle Moïse rencontre Yahvé, comporte une couverture en peaux de bélier teintes en rouge et le costume du Grand Prêtre utilise la pourpre et l’écarlate (Ex XXXIX). Le sang des animaux sacrifiés est offert à Dieu et colore le pourtour des autels.
Dans le Nouveau Testament, le rouge est la couleur du sang du Christ et la couleur du Saint-Esprit (les “ langues de feu ” de la Pentecôte). Saint Jean fait plutôt référence aux significations maléfiques du rouge : l’un des cavaliers de l’Apocalypse symbolise la guerre et monte un cheval “ rouge-feu ” (Ap VI, 4). Le Dragon qui apparaît dans le ciel est également “ rouge-feu ” (Ap XII, 3) et la Prostituée “revêtue de pourpre et d’écarlate ” (Ap XVII, 4) est assise sur une Bête elle-même “ écarlate ” (Ap XVII, 3). L’ambivalence symbolique du rouge est manifeste dans cette scène puisque “ la femme se saoulait du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus ” (Ap XVII, 6).
Cette même ambivalence se retrouve dans le symbolisme des cheveux roux, tantôt signe d’élection – David est roux (I S XVI, 12) – tantôt signe de damnation, – en Égypte Ancienne, le dieu du mal, Seth, est roux et les artistes chrétiens ont parfois représenté Judas avec des cheveux roux.
La tradition chrétienne a repris toutes les significations bibliques du rouge. C’est la couleur du Saint-Esprit en tant que que puissance d’amour de Dieu, souffle vital (“ qui donne la vie ”, disons-nous dans le Credo), feu inspirateur des hommes, enthousiasme (au sens étymologique de “ Dieu en nous ”), – d’où le rouge des vêtements liturgiques de la Pentecôte et de la messe votive du Saint-Esprit. La Charité, vertu théologale exprimant à la fois l’amour du Père qui s’est révélé en Jésus Christ et l’amour fraternel que l’Esprit Saint suscite parmi les chrétiens, est symbolisée par le rouge. – Couleur du sang, le rouge est aussi consacré aux martyrs dont le sacrifice est rappelé par les ornements rouges des messes des fêtes des saints martyrs. L’image du Sacré Cœur, rouge et surmonté d’une flamme, évoque à la fois le sacrifice du Christ et “ ce cœur brûlant sans cesse d’amour pour nous ” (Préface de la messe du Sacré-Cœur).
Le rouge est également dans le catholicisme la couleur du vêtement des autorités ecclésiastiques. La pourpre désigne les cardinaux, comme le rouge-violet des évêques rappelle leur rôle de surveillants ”, (sens étymologique du mot “ évêque ”).
Dans l’iconographie chrétienne, le Christ a parfois un vêtement rouge, quadruple symbole de l’amour de Dieu dont il témoigne, de l’action de l’Esprit Saint à travers Lui, de son sacrifice sanglant et de sa dignité de Roi. Mais l’on rencontre aussi le rouge comme couleur de la colère, de la destruction et du Mal : les bêtes de l’Apocalypse, le cheval rouge symbolisant la guerre, la chevelure rousse de Judas, les flammes de l’Enfer, la couleur rouge des démons.
Le bleu et la sérénité





À l’opposé du rouge, qui est la couleur de l’activité, le bleu , est la couleur du calme, voire de la passivité. Jean Servier a souligné cette opposition entre le rouge du feu, de la virilité, des révolutions et des millénarismes et le bleu des eaux maternelles, du ciel pur et de l’utopie2. Le châle rituel des Juifs, bleu et blanc, symbolise à la fois le ciel divin et la membrane amniotique3, signe de protection et de renaissance spirituelle.
Le bleu est associé au ciel diurne ou au ciel bleu profond des nuits d’été, – au ciel serein, c’est-à-dire, étymologiquement “ sans nuage ”. La mer, l’eau calme et limpide, reflétant le ciel, sont aussi associés au bleu. Contrairement à ce qui se passait pour le blanc, le doré et le rouge, la lumière est ici diffuse, aérienne. Cette couleur sera donc le symbole de l’Au-delà, de l’Ordre harmonieux, de la Vérité transcendantale et éternelle, de l’Immorta1ité de l’âme, de la Sagesse. – Parmi les fonctions psychologiques, c’est la pensée qui, selon Jung, correspond au bleu. Et l’astrologie associe la couleur bleue à Jupiter, la planète du dieu du ciel lumineux.
Dans de nombreuses églises, la face interne des dômes et des voûtes est peinte en bleu et parsemée d’étoiles pour rappeler le ciel : une église étant, selon l’expression de Jean Hani, un cosmos en miniature, un “ paysage pétrifié ”4. Par suite, le bleu peut évoquer l’inspiration céleste, divine.
Le bleu est aussi parfois la couleur du Christ, le Père étant la lumière blanche, le Fils la lumière bleue et le Saint-Esprit la lumière rouge. Selon Portal, le vêtement du Christ est bleu pendant les trois années de sa prédication de vérité et de sagesse. La symbolique chrétienne a toutefois presque entièrement réservé le bleu azur à la Vierge Marie, cette couleur étant ici à la fois symbole maternel et symbole céleste. Le manteau de la Vierge figure parfois le ciel étoilé.
Le bleu foncé, le “ bleu-nuit ” , offre souvent, au contraire, une signification négative, sans qu’il ait cependant l’aspect maléfique de la couleur noire dont il se rapproche. Il symbolise alors une mort temporaire : ainsi certains artistes ont représenté le Christ au tombeau avec le visage bleu et le corps entouré de bandelettes bleues. Cette couleur évoque alors l’état intermédiaire entre le noir des ténèbres de la mort et le bleu azur ou le blanc de la lumière céleste et divine. Le terme “ blême ”, qui s’applique au teint des malades ou des moribonds, vient vraisemblablement du scandinave blâmi signifiant “ bleuâtre ”.
(à suivre)
Jean-Bruno RENARD,

(France) (né à Paris en 1947) est un sociologue français, professeur à l’Université de Montpellier III (« Paul-Valéry »). Ses travaux portent sur la culture populaire (notamment la bande dessinée et le fantastique), sur les rumeurs et les légendes urbaines, ainsi que sur les croyances au paranormal et le phénomène ovni, qu’il aborde d’un point de vue sceptique. Il a créé le terme « néo-évhémérisme » pour qualifier la théorie des Anciens Astronautes.


NOTES :
1. Georges DUMÉZIL, Jupiter, Mars, Quirinus, 4 vol., Paris, 1941-1948.
2. Jean SERVIER, Histoire de l’utopie, Paris, Gallimard, coll. “ Idées ”, 1967.
3. Selon le psychanalyste Arthur FELDMAN, cité par Jean Servier, ibidem, p. 329.
4. Jean HANI, Le Symbolisme du Temple chrétien, Paris, La Colombe, 1962.


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EXPLICATION DE LA DIVINE LITURGIE

LA SYMBOLIQUE CHRETIENNE DES COULEURS (II )

Dans Pâque Nouvelle de décembre 1999 (pp. 39-47), nous avons publiédans une première partie, de larges extraits d'un article, paru il y a 20 ans dans une revue aujourd'hui disparue, Foi et Langage (numéros 14 et 15) et dû à la plume de Jean-Bruno RENARD, à l'époque assistant de sociologie à l'Université Paul Valéry, à Montpellier. Après avoir étudié successivement la valeur du blanc, lié a l'Absolu, du doré, symbole de la lumière qui se manifeste, donc de la Révélation, du rouge, associé au feu et au sang, et du bleu, couleur de la sérénité, il poursuit maintenant son enquête à travers l'arc en ciel et jusqu'au noir, qui n'en fait pas partie mais qui a sa place dans la symbolique universelle.

Le vert et la nature

Si le rouge est la couleur de la puissance volontaire, psychique, humaine ou surnaturelle, le vert est la couleur de l'énergie cosmique matérielle. Le vert est universellement associé à la verdure et à la nature dans sa force de renouveau (le printemps). En Chine, c'est la couleur du Yin, principe féminin, terrestre. Dans la symbolique du yoga, le lotus à quatre pétales verts correspond au premier chakra, le plus bas, situé dans le périnée, où se love le serment mystique Kundalini : l'ascension de ce serpent le long de la colonne vertébrale éveillent successivement les six autres chakras, jusqu'au lotus irisé, assurera l'illumination de l'adepte en le faisant passer de la nature matérielle à la lumière spirituelle. Pour Jung, c'est bien évidemment à la sensation - la plus physiologique des fonctions psychologiques, qu'est associée la couleur verte. En astrologie, on la fait souvent correspondre à la planète Vénus. c'est-à-dire à la volupté, à la féminité.

La symbolique chrétienne fait un double usage du vert. En tant que couleur du printemps, . promesse de fruits et de moissons, le vert symbolise la vertu théologale de l'Espérance, c'est-à-dire la certitude de la résurrection et de l' avènement du Royaume de Dieu. De là vient la signification que le sens commun attribue à cette couleur. Les artistes chrétiens ont parfois figuré en vert la croix du Christ, les instruments de la Passion et le sépulcre lui-même, pour souligner leur rôle de régénération et d'espérance. On rejoint ici la symbolique de la croix comme arbre mystique s'enracinant dans Adam et dont le faîte est le Christ.

Avec une signification moins profonde, le vert symbolise aussi le premier degré de l'initiation et plus précisément celui qui est lié à la jeunesse : d'où les vêtements de Jésus enfant sur certaines peintures religieuses.

Dans le rite catholique romain, les ornements verts sont ceux des dimanches dits “ du temps ordinaire ” qui suivent et séparent les grandes fêtes liturgiques : d'une part les dimanches après Noël et l'Epiphanie, jusqu'au Carême1 et, d'autre part, les dimanches appelés justement “ dimanches verts ”, après Pâques et la Pentecôte, jusqu'au temps de l'Avent, préparation à Noël. Le vert est donc la couleur même des temps messianiques, symbolisés chaque année par le cycle liturgique : le temps de l'attente de Pâques, espérance de la Résurrection et de notre résurrection, le temps de l'attente de Noël, espérance de la venue, et du retour, du Christ sur terre.

Mais en tant que couleur du monde d'ici-bas, de la nature matérielle, sensuelle, animale, condamnée à l'éternel retour d'elle-même, le vert symbolise les forces matérialistes, égoïstes, bestiales, c'est-à-dire diaboliques. Sur un vitrail de la Cathédrale de Chartres, Satan a la peau verte et de gros yeux verts. Déjà, dans l'Antiquité gréco-latine, les monstres chthoniens, liés au monde souterrain, (du grec khthôn “ terre ”), dragons ou serpents, étaient représentés en vert tout autant qu'en rouge ou en noir. La mentalité populaire en a retenu que le vert porte malheur.

Le violet et la mystique

Dans la plupart des symboliques traditionnelles, le violet est considéré comme une variante du rouge ou du noir. Seule, semble-t-il. la tradition judéo-chrétienne lui a attribué une valeur autonome. Dans le Livre de l'Exode (Chapitres XXV à XXVIII et XXXV à XXXIX), les prescriptions relatives à la construction du sanctuaire (pierreries, voile, rideau du parvis) et aux vêtements des prêtres (éphod, pectoral, manteau) insistent de nombreuses fois sur les étoles “ d'or, de pourpre violette et écarlate, de cramoisi et de 6n lin retors ”.Mais on ne trouve dans les textes bibliques aucune explication du choix de cette couleur ni de sa signification. Le pourpre et l'écarlate sont proches du rouge et peuvent évoquer ici la puissance et la majesté mais pourquoi le violet et le cramoisi ?

Dans la liturgie catholique, les ornements violets sont réservés aux temps préparatoires aux grandes fêtes : dimanches de l'Avent pour préparer Noël 2, du Carême et de la Passion, qui précèdent Pâques. Pendant longtemps, dans les églises, une coutume consistait à voiler les crucifix avec une étole violette durant la Semaine Sainte. Le violet est également la couleur des vêtements du célébrant pour les messes votives de supplication ou de pénitence : messes pour les malades, pour la paix, 3 etc. La succession des ornements violets et des ornements blancs marque le passage de la préparation, où l'âme est en état d'austérité, d'humilité et de pénitence, à l'exultation de la fête 4. On voit donc que le violet ne saurait être réduit à la seule signification de demi-deuil et de tristesse qui est la sienne dans la mentalité populaire. Le violet est en somme la couleur de la vigile, dans tous les sens du mot : veille d'un jour de fête, action de veiller en priant et vigilance, c'est-à-dire attention portée à la parole de Dieu.

Mais pourquoi le choix du violet ? Le violet, mélange de bleu et de rouge, symbolise l'union de la Vérité et de l'Amour, les deux attributs majeurs de Dieu. Le Christ rassemble en lui-même le bleu et le blanc du Père céleste avec le rouge de l'Esprit Saint, d'où la robe violette qui est la sienne dans les peintures médiévales. Cette explication un peu mécaniste nous met cependant sur la voie d'une interprétation plus juste, si l'on considère le violet comme composé de rouge et de noir : le rouge est la vie, la joie et le noir la mort, la souffrance. Le violet semble donc être la couleur même de l'union des contraires, de la coïncidentia oppositorum, qui est au centre de l'expérience mystique. Et l'on rejoint ici les sens bibliques et liturgiques du violet : il symbolise la tension de l'homme vers son Dieu et la protection de Dieu sur l'homme, l'attente messianique et l'Incarnation, l'action de se tenir éveillé et la contemplation, la joie du salut et la souffrance de la Passion. Le violet est mystique parce qu'il est la couleur de la rencontre avec Dieu, quand l'homme se sent à la fois si petit et si grand, écrasé e! exalté.

Le noir et les lieux inférieurs

Le noir occupe, plus encore que le blanc, une place à part dans le système symbolique des couleurs. Dans toutes les cultures, le noir est spontanément associé à l'absence de lumière. Dans la Bible, le noir est la couleur des ténèbres primordiales, du chaos avant la Création, - principalement la création de la lumière. Une survivance de ces ténèbres demeure, avec la nuit (Gn, 1, 1-5). La peur de l'obscurité est l'une des peurs les plus fondamentales de la “ psyché ” humaine. En astrologie et en alchimie, le noir est associé à la planète Saturne, le grand Maléfique, symbole de la vieillesse et de la mort, ainsi qu'au plomb, le plus vil et le plus lourd des métaux. Pour Jung, la couleur noire est celle de l'Ombre, archétype de notre double caché, de notre inconscient individuel.

Même si, comme en Afrique et en Extrême-Orient, la couleur de la mort est le blanc5, le noir n'en demeure pas moins aussi le symbole de l'épreuve, de la souffrance, de la tristesse.

Les premières significations du noir, - celles qui ont été le plus souvent développées dans l'Occident chrétien, - sont donc des idées de deuil, de mortification, de mort et sur Ie plan moral, de péché, de Mal. Satan est le “prince des Ténèbres ” qui s'oppose au Christ, “ lumière de la lumière ”. Tout autant que le rouge, le noir est la couleur des Enfers et des diables. Le cavalier de l'Apocalypse qui monte un cheval noir , symbolise la famine (Ap Vl, 5-6). Sur certaines miniatures médiévales, Judas est nimbé de noir pour symboliser son “ âme noire ” et ses “ noirs desseins ”. La couleur du péché évoque à la fois la mort et la souillure, la saleté, qui viennent noircir la pureté de l'âme. Le racisme s'en est mêlé et, pendant longtemps, en Occident, on a fait des Africains les fils de Cham, justifiant par la malédiction qui frappa le plus jeune fils de Noé à la fois la couleur noire de leur peau et leur condition d'esclaves (Gn IX, 18-27).

La liturgie catholique réservait les ornements noirs aux messes des défunts et à la messe du Vendredi Saint 6. Dans un sens plus faible, le noir est aussi couleur de pénitence, de mort initiatique, de renoncement à la vanité de ce monde.Le noir, le gris, le brun (couleur de l'humlité, au sens étymologique de l'humilis latin, lié à la notion d'humus, “ terre ”) des vêtements ecclésiastiques et monacaux rappellent cette idée.

Le gris. mélange du blanc de la vie avec le noir de la mort symbolise, selon Portal 7 la résurrection des morts et, plus préclsément. la résurrection de la chair.

Proche du gris, le blanchâtre évoque aussi la mort revenants, des spectres, des ectoplasmes. Il ne s'agit plus ici du blanc mortuaire, lumineux, vu plus haut mais d'une blancheur qui équivaut paradoxalement au noir parce qu'elle correspond à la décoloration des objets par perte de luminosité. Couleur de pénombre, elle est associée à ces zones frontières entre la vie et la mort. Ainsi dans l'Antiquité gréco-latine, les âmes errantes des Enfers sont exsangues, livides (du latin lividus qui signifie “ bleuâtre ”, “ plombé ”, ce dernier terme étant parfaitement ajusté au symbolisme qu'il évoque). Dans l' Apocalypse, le cheval pâle, verdâtre, est monté par la Peste et suivi par l'Hadès (Ap VI, 8).

Mais le noir a aussi un symbolisme positif. En tant que couleur chthoniennc, il est associé à la terre noire et fertile, à la fécondité du ventre obscur de la Terre et des femmes. Dans la symbolique africaine des couleurs, le noir évoque, comme le vert, la végétation, l'eau et la fécondité.

Parfois la couleur noire est totalement positive et bénéfique : ainsi chez les Indiens Andaman l'homme a une âme rouge, d'où vient le mal, et un esprit noir, d'où vient le bien. Dans le symbolisme des ceintures de judo, la ceinture noire correspond aux degrés les plus élevés.

Il est Intéressant de noter que la hiérarchie ecclésiale a repris les trois couleurs fonctionnelles : le blanc pour la panauté, le rouge et le violet vour les cardinaux et les évêques, le noir pour les simples prêtres.En dehors de ce fait, l'usage de la couleur noire dans un sens positif est extrêmement rare dans la symbolique chrétienne.Tout au plus peut-on citer les Vierges noires dont l'origine se situe sans doute dans le culte des déesses-mères (Athor, Isis, Cérès, Aphrodite étaient souvent peintes en noir). Portal cite aussi certaines enluminures sur lesquelles Jésus luttant contre le Tentateur est vêtu de noir : cela signifierait selon lui que le Christ descend symboliquement au Enfers pour combattre le Diable.

Conclusion

Les significations différentes, parfois opposées, que les diverses cultures ou les divers systèmes symboliques donnent à une même couleur nous sont apparues moins comme des obstacles, des difficultés, que comme la possibilité d'approfondir le sens symbolique de cette couleur. D'ailleurs, au sein d'une même culture, le symbolisme d'une couleur n'est jamais univoque et l'on trouve toujours, plus ou moins développés, ses autres sens. L'usage des couleurs dans l'art chrétien en témoigne : une couleur bénéfique possède toujours un aspect maléfique et réciproquement.

L'absence actuelle de catéchèse des symboles, - absence , qui voisine parfois avec une recherche périlleuse de nouvelles formes rituelles et symboliques, - paraît préjudiciable d'un triple point de vue, en ce qui concerne du moins le symbolisme des couleurs : elle prive les chrétiens, - et les non-chrétiens, - d'une connaissance leur permettant de mieux comprendre les oeuvres d' art du passé; elle ampute les cérémonies religieuses d'une dimension qui, de l'avis même des liturgistes, présente des “ avantages appréciés par l'expérience pastorale ” 8 ; enfin, elle empêche la réflexion et la méditation d'une foi qui ne se nourrit pas seulement de concepts mais aussi de symboles.

Jean-Bruno RENARD

(né à Paris en 1947) est un sociologue français, professeur à l’Université de Montpellier III (« Paul-Valéry »). Ses travaux portent sur la culture populaire (notamment la bande dessinée et le fantastique), sur les rumeurs et les légendes urbaines, ainsi que sur les croyances au paranormal et le phénomène ovni, qu’il aborde d’un point de vue sceptique. Il a créé le terme « néo-évhémérisme » pour qualifier la théorie des Anciens Astronautes.


NOTES :
1. Georges DUMÉZIL, Jupiter, Mars, Quirinus, 4 vol., Paris, 1941-1948.
2. Jean SERVIER, Histoire de l’utopie, Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1967.
3. Selon le psychanalyste Arthur FELDMAN, cité par Jean Servier, ibidem, p. 329.
4. Jean HANI, Le Symbolisme du Temple chrétien, Paris, La Colombe, 1962.

1 Avant la réforme liturgique de Vatican II, c'était jusqu'à la Septuagésime.
2 Autrefois, dimanches de la Septuagésime.
3 Actuellement la liturgie des défunts se célèbre généralement en violet également.
4 Auparavant, le violet de la vigile de Noël précèdait le blanc de la messe de minuit et, durant la veillée pascale, le prêtre changeait ses vêtements liturgiques violets en vêtements blancs.
5 Les funérailles chrétiennes se célèbrent en blanc en Extrême-Orient.
6 Aujourd'hui l'office du Vendredi Saint se célèbre en rouge.
7PORTAL Frédéric, Des couleurs liturgiques, Paris, éd. de La Maisnie, 1975 (rééd. de l'ouvrage paru en 1837 à Paris).
8 MARTIMORT, Georges-Aimé, dans Introduction à liturgie, Paris-Tournai, Desclée et Cie, 1965, p. 116. D'autant que l'Eglise est assez souple quant à la possibilité d'adapter le langage symbolique au contexte culturel : “ Dans les pays de mission, là où les cultures locales donnent aux couleurs une signification incompatible avec celle de la liturgie, les conférences épiscopales peuvent en modifier l'usage ”.





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