La Beauté


"Un drôle de sentiment peut nous assaillir quand se produit ce phénomène. Sentiment que nous nommons vertige, en toute discrétion. " Laurent.

L'auteur de cette planche induit que la démarche maçonnique, sa beauté, ses valeurs et tout ce qu'elle montre peut provoquer en nous , simples individus les conséquences dites, " du syndrome de Stendhal"


La beauté






Trois mouettes s’adonnent à un étrange ballet... L’une d’elle depuis quelques jours, arrache des pans de mousse et les emporte jusque sur les toits. Certaines fois, elle suspend le temps de son vol dans un état stationnaire, puis lâche de cette hauteur l’objet qui, en touchant le sol, explose en portions plus petites. Pour qui a déjà arpenté les plages normandes, ce comportement n’est pas inconnu : les mouettes parviennent à ouvrir praires et palourdes, en expédiant leurs coquilles inviolables se briser sur le sable.
 

Au-delà d’une analyse anthropomorphique des raisons qui poussent cet animal à agir ainsi, on ne peut rester insensible au caractère immuable de ce manège : l’animal reproduit indéfiniment les mêmes comportements, que ses ancêtres avant lui ont automatisés. Par cette réitération également, l’individu participe de l’inscription continue du comportement au sein de l’espèce. Ces invariants peuvent tout autant être vus comme les garants de la survie de cette dernière, que comme sa Némésis. Face aux modifications environnementales, la persistance de certains comportements hypothèque la survie du groupe, faute d’évolution, d’adaptation. 


En Franc-Maçonnerie, tout comme dans le règne animal, un observateur naïf et pressé, ne verrait dans nos réunions qu’un ensemble disparates d’éléments juxtaposés. D’aucuns trouveraient le résultat impénétrable et soporifique. Pourtant, d’autres en ressentiraient spontanément et intuitivement, sans pourtant n’y rien comprendre, une sorte de chatoiement, de titillement, de frisson inexplicable. 


Il en va souvent ainsi des Arts dits contemporains, pour lesquels parfois seule l’explication de l’auteur d’une œuvre peut en rendre intelligible le dessein. Et pourtant, pourtant, aussi surement que vous allez vous trouver hermétique de prime abord face à une création, il y aura toujours un casse-pieds pour dire « j’adore !!! », « c’est génial !!! », « il a tout compris !!! ». 


A grands renforts d’explications, tel plasticien vous éclairera certainement sur les motifs profonds de son installation, sa symbolique intrinsèque, l’énergie qu’il a mobilisée. En adoptant de votre côté cette grille de lecture qui vous est offerte, vous pourrez juger sur pièce de l’ambition du projet, de la virtuosité de la technique, de la réussite de l’entreprise. Pour conclure, d’un air docte, renforcé d’un hochement de tête assuré et les sourcils froncés, vous aurez cette sentence : « c’est beau ».


Mais, revenons à notre casse-pieds, celui qui eut l’arrogance d’apprécier cette œuvre, sans pourtant avoir dû subir l’explication indigeste bien qu’informative de son auteur. Tandis que vous lui demandez d’expliquer la symbolique de tel assemblage, ce dernier vous avoue être bien incapable d’en donner le sens. Alors que vous reprenez les mots de l’inventeur pour lui en fournir les clés, il demeure imperméable à vos propos. 


Et pourtant, il a trouvé cela « beau ». Tout comme vous. Seulement, tout semble opposer ces deux « beaux », l’un fondé sur une analyse explicite, structurée et accessible à tous ; l’autre relevant d’un jugement implicite, intuitif et profondément intime. 


Doit-on alors rester sur cette opposition de surface ou bien tenter de concilier ces deux approches de la beauté pour en tirer une règle plus générale ? Il y a effectivement du beau dans chacun des éléments qui composent le tout.

L’observateur attentif d’une de nos réunions mettrait ainsi rapidement en évidence certains caractères récurrents de celle-ci : des mots, des pas, des gestes, des regards … Cependant, ce tout n’est pas seulement égal à la somme des parties qui le composent.


Ce même observateur pourrait également discerner l’agencement et la pondération des mots, la régularité et l’ordonnancement de certains gestes, la chaleur de nombre de regards interindividuelles. 


En tant qu’observateur attentif, c’est ce cheminement que nous effectuons quand, en apprentissage, nous sommes entré.


Le cérémonial que la Franc-Maçonnerie nous offre de découvrir peut nous paraitre de prime abord abstrait Pour désambiguïser ce cérémonial, elle nous fournis le symbolisme et le silence comme méthode de travail.


Elle encourage à utiliser en conscience ces instruments pour appréhender ce nouveau monde et à faire confiance à nos intuition pour pénétrer l’insaisissable, l’insondable, l’ineffable.


Avec l’aide d’un guide afin que nous ne puissions nous égarer, et ce dernier témoignant du fait que notre quête concerne une des trois vertus indispensables à la construction du Temple : la beauté. 


Dans cette recherche de la beauté, la méthode maçonnique peut être considérée en quelques sortes comme une science du pas de côté. Celle du décalage, de la capacité à sortir verticalement de son corps pour regarder d’un œil neuf et avec hauteur le monde qui nous entoure. cette nouvelle vision aide à effectuer une élévation spirituelle : « connais-toi toi-même et tu connaitras l’univers et les dieux ».


Percevoir la beauté implique humilité et tempérance des observations, qui ne peuvent découler que d’une introspection authentique. . « Prendre donc, de la distance quant à nos présupposés, nos émotions, nos sensations afin de purifier les mécanismes de notre perception et de notre attention ».


Par-delà ces obstacles individuels à une observation naïve, l’appartenance à une espèce grégaire implique le fait de se trouver sujet aux influences de ses pairs. Cependant, à la différence de tout un chacun que l’on pourra excuser d’en subir les conséquences, le Franc-Maçon n’a plus le droit de se positionner en tant que victime, même expiatoire : il est mort aux préjugés du vulgaire et a ressuscité par l’Initiation.


Tandis que le profane se trouve engoncé dans le tourbillon des jugements collectifs, des visions normatives, des morales populaires, l’initié découvre la liberté d’appréhender, au-delà de toute idéologie et de toute propagande, le devoir de porter au monde une attention personnelle et élevée. 


Se détacher d’une vision étriquée, tout en respectant le point de vue d’autrui. S’émanciper des morales qui régulent le monde profane, tout en en percevant les implications. S’élever pour scruter le monde, tout en ayant conscience des amarres qui brident notre envolée. Et découvrir combien la nature est miraculeuse dans son harmonie et ses proportions : les spirales du tournesol, la coquille des ormeaux, les marées de l’océan, les rayures du zèbre, les couleurs de l’iris d’un œil … Les bâtisseurs de tout temps nous donnèrent à contempler, à travers leurs œuvres, leur respect et leur admiration pour les vertus de la nature : les pyramides de Gizeh en Égypte, le Parthénon sur le site de l’Acropole d’Athènes, l’escalier à double révolution du château de Chambord … Tous ces travaux valent bien 10 000 heures d’instruction au compteur : ils explicitent les règles du beau dans le domaine des arts : ordre, harmonie, symétrie, proportion … ; et ce faisant déclenchent chez l’observateur des émotions intimes.


Un drôle de sentiment peut nous assaillir quand se produit ce phénomène. Sentiment que nous nommons vertige, en toute discrétion.


C’est une manifestation fugace et pourtant puissante, composée d’une accélération du rythme cardiaque, d’un chatouillement intestinal et d’une élévation de la température corporelle.


Citons plus tôt certaines créations de la nature que l’on imagine aisément être en mesure de provoquer ces réactions. Pourtant, bien d’autres peuvent, de prime abord, paraître moins « parfaites » sont aussi au moins susceptibles d’enclencher ce mécanisme : je vous laisse quelques secondes pour trouver la vôtre.


Cet enchantement nous amène invariablement à la question « pourquoi ? », à l’impérieuse nécessité de trouver du sens à la beauté, qui va bien au-delà de toute rationalisation. Il en va ainsi de la spiritualisation de nos expériences profanes.


Illustrons nos propos en empruntant indignement la prose de Jack London dans Martin Eden : « Ce corps était bien plus que l’enveloppe de son esprit : il en était une émanation, la pure et gracieuse cristallisation de son essence divine (…) Maintenant, à travers elle, il concevait la pureté comme la forme superlative du bien et de la probité, et la somme de ces vertus représentait la vie éternelle ».



Toutefois, l’œuvre poursuivit par les Francs-maçons de tout temps ne se résume pas qu’à adopter une position contemplative, fût-ce de la beauté. La spiritualisation doit être vue plus comme un processus que comme un état fini.


Les Maçons, comme leurs ancêtres, demeurent opératifs, travailleurs, bâtisseurs. Et c’est dans la lumineuse beauté du monde qui les entoure qu’ils viennent puiser l’inspiration pour édifier leur Temple.


Cette construction devra provoquer chez l’observateur un sentiment de joie, implicitement provoqué par le souci d’harmonie et reconstruction dont devra faire preuve le maçon.


La beauté telle que nous la considérons en FM n’est pas un idéal, ni l’objet d’un jugement de valeur comme dans le monde profane. C’est une vertu, c’est à dire une règle intangible que l’on s’engage à suivre dans le cadre de nos travaux. Si, certaines règles doivent être revues et corrigées pour s’adapter et survivre dans un environnement changeant, la vertu de beauté ne pourrait souffrir de remise en question. L’édification de notre temple repose sur une recherche continuelle et sans fin d’harmonie, et reconstruction. La beauté ne s’atteint pas, elle se poursuit perpétuellement.


C’est ainsi que nous devons regarder cette mouette et discerner chez elle autre chose que l'animal dont les fientes constellent parfois nos balcon, cette éventreuse de poubelles, cette étrangleuse de pigeons.



Silencieux, nous observons, tous nos sens en éveil. Se révèlent alors en nous l’éclatante présence des régularités implicites, mises en lumière par la direction du regard.

Être capable de saisir ces règles se révélera fondamental pour la construction d’un édifice intègre et qui perdure, notre Temple, et pour l’épanouissement de l’Homme véritable que nous prétendons devenir.


Si nos proches nous reconnaissent comme tel, c’est parce que cette lumière d’harmonie brille en nous et irradie autour de nous. Et parce que que la beauté qui orne cette pierre nous façonne jour après jour.


Laurent février 2022.



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