LE NOMADISME MACONNIQUE
Le nomadisme maçonnique.
Liminaire.
Le sujet de cette planche , ne vient pas uniquement de la recherche
d'un concept pour notre loge, il y a à l'origine un vécu qui nous est
personnel, soit notre expérience à nous trois ici présents, qui fut un peu instigatrice des
décisions prisent pour la formation des apprentis,
Avant la création de la loge Pascal Paoli nous
étions sans loge, cela avec une dérogation de l'Obédience,
nous avons donc ensemble vécu une forme de nomadisme et d'errance maçonnique,
cette situation loin de nous gêner fut positive et riche d’expériences. Nous
avons pendant 3 ans sillonné l'ensemble de la région méditerranéenne, connu
d'autres loges, d'autres frères dans divers orients, et vécu l’expérience du voyage aussi bien physique, qu'intellectuel et
spirituel.
Lors de diverses réunions entre nous , pendant les
prémices de la création de Pascal Paoli, fort de l’expérience, nous en avions
évoqué le sujet avec les premiers frères
fondateurs. Je pense qu'alors nous avions fait preuve d'ouverture et
modernité, malgré qu'à l'évidence nous ne faisions que renouer avec la
grande Tradition du maçon, qui est le voyage vers d'autres territoires.
Manuel Bello Marcano Architecte
et sociologue,
« Nous sommes tous des errants
potentiels. L’errance est anonyme, elle n’a pas de forme, disons qu’elle a la
forme du sans-forme. Elle n’a pas un public précis. L’errance n’est pas un
phénomène spécifique de l’histoire, car l’errance a toujours été là, sous la
forme d’un instinct et d’une pulsion qui nous rappelle à chaque pas notre
incontournable animalité. Nous ne sommes que des nomades
endormis dans une réalité sédentaire qui parfois nous réveille. »
Lors de la création de notre loge, nous nous
trouvions dans l’impossibilité de nous réunir deux fois par moi, les
obligations financières et la mise à
disposition des locaux faisant la règle ,contre notre jeune Loge,
Il en est ainsi, et pour compenser le manque, notre
décision fut de rendre « nomades »
nos apprentis , afin qu'ils puissent au travers leurs voyages vers
autrui, affirmer et confirmer leur apprentissage. Ainsi tous les mois avec le
second surveillant , ils visitent diverses loges qui par leur accueil et leurs
travaux participent à leur enseignement maçonnique.
Nous avons considéré le voyage vers
d'autres loges et d'autres Orients comme
un mode d’apprentissage expérimental, une voie à explorer, une modernité à
proposer, pour que les apprentis
trouvent ;un sens à leur démarche, et
qu'ils apprennent à mieux se connaître, à mieux appréhender l’ailleurs
avec ses diversités spirituelles, culturelles et humaines, faisant l'essence même de la Franc maçonnerie...Cette décision
originale fait la preuve, si il en est besoin de la générosité et de
l'humilité, de modernité et liberté des
frères maîtres de Pascal Paoli. En rendant nomades nos petits frères, c'est
toute la loge qui est devenue nomade, c'est toute la loge qui a rayonnée , ils
furent les ambassadeurs de notre « esprit de modernité et liberté » ,
Ils ont appris à « voir autrement », à percevoir autrui
dans une perspective différente, à prendre une distance par rapport à l'
univers culturel et symbolique de notre loge et de notre obédience . La
rencontre avec l'autre a nécessité qu'ils apprennent à jeter sur eux même un regard extérieur et
s’éloigner de l'ethnocentrisme récurrent
des maîtres, qui croient tenir dans leur
loge le savoir et le savoir transmettre, ils ont pu ainsi nourrir une aptitude à la décentration et à l'autocritique, et
réussir l’intégration de l’Autre même avec ses défauts, cela s’appelle l'altérité, d'aucun dirons
aussi l'amour de son prochain,
Selon Emmanuel Lévinas, l’apprentissage
de l’altérité exige une éthique, une éthique de l’altérité qui repose sur
l’expérience d’autrui ; ,,,,,,,,, (Lévinas, 1982, p.92-93).,,,,,,,, Ainsi,
l’éthique de l’altérité favorise la découverte et l’apprentissage de l’Autre, ainsi que le
développement personnel (de la pensée, de l’agir relationnel...) de celui qui
incarne cette éthique.
Voyager, s’éloigner de son «
chez soi », découvrir et explorer un Ailleurs dans la perspective
d’acquérir une connaissance plus large et plus universelle implique que celui
ou celle qui éprouve l’expérience du voyage
jalonnée d’épreuves et de
rencontres interculturelles, qu’il
devienne une nouvelle personne, nous nous dirions « faire mourir
le vieil homme » . Autrement dit, l’expérience du
voyage est créatrice d’un désordre porteur d’un renouveau ; elle est riche
d’apprentissages issus d’un vécu au-delà de la loge mère, au-delà du connu. En
somme, le voyage donne sens à l’initiation et participe à la construction
d’un homme nouveau. Par conséquent, il devient espace Initiatique, et il est source d’évolution de la conscience,
d’adaptations voire de transformations intérieures.
Aucun apprentissage n'évite la
déchirure, la fréquentation de l'incertain, la familiarité du doute, le
désarroi de la désillusion, la défiance envers l'autre, la crainte de n'être
pas « reconnu ». Tiraillé entre fascination et résistance envers celui qui
sait, l'apprenti relativise car les
Maîtres en éclatent la quête vers
d'autres, qui savent et se contredisent parfois, et qui peuvent tout à
la fois aider ou induire en erreur.
Michel Serres nous dit,
Aucun apprentissage n'évite l'errance dans
l'aire du secret. En quittant la rive des certitudes ou des croyances anciennes, en
perdant le confort des appuis initiaux,
il affronte la solitude, et il rencontre l'autre avec sa capacité de
duperie... C'est ainsi qu'il aborde l'énigme pour s'émanciper de la dépendance,
pour perdre de la vulnérabilité, pour approcher une réalité, indifférente à son
désir
(Michel Serres, Le Tiers-Instruit,
éd. François Bourin, Paris, 1991)
Le voyage est donc semé d'embûches. Il
y a des écueils. On peut se perdre, se noyer dans l'illusion, ou s'aliéner à
l'autre...Mais derrière chaque secret dévoilé se cache un autre secret à lever,
et nul n'arrive à la fin du voyage, puisque le savoir lui-même contient le
secret...car il en est ainsi de la recherche de la vérité,
Pédagogue et guide le second
surveillant est aussi un passeur. Il marche
avec l'apprenti dans l'espace de ses
secrets. Il l'accompagne dans son
errance. Il ne se substitue pas à lui. Il ne se met pas à sa place, il lui donne seulement un contenant, en mettant nos
Symboles communs sur son chemin
Initiatique.
Ces symboles entérinent
ce que nous sommes nous, au REAA , et accompagnent
l'apprenti vers le chemin Symbolique et Initiatique , qui n'est pas
pour lui un chemin évident et naturel...
Le voyage sur ce chemin nous oblige à l'effort, aux rencontres avec
d'autres, à la longue durée, au manque,
à l'obligation de faire des choix, à l'incertitude, au doute, à la solitude...
L’abandon de nos certitudes devient le palpitant moteur de la quête, celle d'un
inaccessible retour au paradis perdu de l'origine : il ne peut pas y avoir de
spiritualité sans vivre avec intensité l' errance qu'on a acceptée,,,,,,,
Mais, dans un premier temps,
l’errance, cette part d’ombre est inquiétante : Platon, plus soucieux
de régulation sociale que d’aventure, souligne :
le caractère
inquiétant du voyageur. « Il représente
un risque moral parce qu’il est porteur de nouveautés. » dit t'il,
Michel Serres, encore ajoute « tout apprentissage consiste
aussi en un métissage tout apprentissage implique donc le voyage. Non pas le
voyage au sens propre, mais plutôt celui qui est synonyme , de
bifurcation, d'exil et de déracinement. »
Rachel Bouvet Université du
Québec à Montréal précise :
Les hommes qui marchent sont
d’abord et avant tout des « gens d’espaces et de mouvements », en revanche les
sédentaires sont des « gens du temps et de l’immobilité », des êtres
prisonniers du temps qu’ils cherchent à maîtriser : « Le temps a toujours été
le plus serré des nœuds qui enchaînent les rêves des sédentaires. Eux, les
perclus en un lieu donné, leur vie durant, ne pensent que vitesse et maîtrise
du temps qui fuit »
Dans cette aventure de l’être, le
pouvoir de l’homme voisine avec l’angoisse : la volonté de découvrir
l’ailleurs étant indissociable de la volonté de se connaître soi-même, l’angoisse
naît de percevoir en soi un monde
inconnu . Cette tentative d’introspection de soi, car c’est bien de cela qu’il s’agit , est la
plus essentielle des découvertes.
L’important n’est pas tant de découvrir de nouveaux horizons que de vivre
spirituellement et pleinement le moment du voyage. Celui-ci comportera
inévitablement des détours parfois inutiles et périlleux. Mais qu’importe, seul
le voyage compte. L’expérience du temps de l’entre-deux est dans ce contexte la
plus importante.
L’errant est d’avantage centré sur ce
qu’il vit et découvre dans ses préfigurations que sur ce qu’il quitte en
partant ou sur ce qu’il découvre à l’arrivée du voyage.
Le voyage devient intérieur ; ainsi entrepris, il n’a
pas de terme assigné, il se transforme bientôt en une recherche sans but,
elle-même génératrice d’une nouvelle incertitude : le
voyage prend alors la
forme de l’errance qui pour le maçon ouvre
la porte de la connaissance de soi et de l'écoute.
L’errance pour le maçon est un état
fort de spiritualité ; elle se conjugue en effet avec le verbe « être » et non pas
avec « faire ». On est errant, on ne fait pas de l’errance. L’errance, interroge l’être intérieur du frère . L’errance
devient un mode de penser, de vivre et de concevoir son initiation et sa
spiritualité en lien avec le monde
profane,
Permettez moi de vous citer un texte
poétique de Kalil Gibran : il écrit,
Jadis, j’ai rencontré un autre
voyageur. Il était lui aussi un peu fou, et il me parla en ces termes :
« Je suis un errant. Souvent il me semble parcourir la terre parmi les
pygmées. Et parce que ma tête est plus éloignée de la terre de soixante-dix
coudées que la leur, elle nourrit des pensées plus hautes et plus libres.
« En
vérité je ne marche pas parmi les hommes mais au-dessus d’eux, et tout ce
qu’ils peuvent voir de moi ce sont mes empreintes de pas dans leurs champs
ouverts. »
« Et
souvent je les ai entendus discuter et se disputer sur la forme et la taille de
mes empreintes. Car il y en a qui disent : “Ce sont les traces d’un
mammouth qui rôdait sur terre dans un passé lointain.” Et les autres
disent : “Non, ce sont les endroits où des météores sont tombés depuis les
étoiles lointaines.”
« Mais
toi, mon ami, tu sais bien qu’il est vain de conserver les empreintes d’un
errant. »
Kalil Gibran « l'Errant »
Conclusion :
Le nomadisme et l’errance peuvent être
liés et induit de l'un vers l'autre : d’un côté, une série d’habitudes
culturelles et spirituelles, une connaissance du terrain, une mémoire des
maîtres conservée dans la communauté , servant à guider, à orienter la
marche de la loge. Un mouvement effectué par un groupe humain, un
itinéraire répétitif, d’abord suivi par les anciens, puis modifié en
fonction des nouveaux impératifs, ce qui est notre cas, De l’autre côté, l’errance est
un parcours induit du nomadisme, qui se définit avant tout par la rupture
ontologique, avec un aréopage, un lieu, et par l’absence d’itinéraire fixe, par
le caractère imprévisible du trajet, fluctuant au gré des rencontres .
Pour terminer je dirai :
Nous avons trouvé dans le nomadisme,
la substance à une rêverie qui est la mobilité, c’est l’acte
libérateur par définition. En tout cas, par rapport à un ordre que si il
devient dogmatique , ne pourra jamais
assigner notre pensée à résidence. C’est ça, la force de cristallisation de l’image
du nomade, par opposition à notre culture du territoire, de l’installation, de
la sédentarité,
La figure du nomade serait donc liée à
une certaine rébellion envers l’ordre établi chez les sédentaires, à un désir
de se soustraire au modèle gouvernant le
rapport aux idées et à la pensée. D’où
une tendance à l’idéalisation du nomade, qui disparaît du monde réel pour mieux
s’ancrer dans l’imaginaire. Le trait principal de cette figure, la mobilité, se
voit dès lors associée à des traits forgés dans un univers sédentaire : l’errance, la
rébellion, la liberté.
Mohamed EL FAKHKHARI
Le nomade
Le soleil nocturne
Surprend mes pas
Sur la route enceinte
D'étranges étrangers taciturnes.
***
Mon inconscient,
Courbé de fatigue,
Associe en symbiose
Son deuil à celui du cœur impatient.
Je suis né nomade!
Comme l'air
Qui vibre au rythme du néant
Mais que la parade
Ne reconnaît guère.
***
Je suis né nomade!
Comme la mer
Qui se prosterne au sable malséant
Mais que la sérénade
Ne chante guère.
***
Je suis né nomade!
Comme la terre
Qui résiste au temps mécréant
Mais que la palissade
Ne supporte guère.
***
Je suis l'air,
La mer et la terre;
Je suis une anecdote
Sans itinéraire.
***
Si je marche,
C'est la lumière des voitures
Qui m'absorbe,
***
Si je cours
C'est la file des montures
Qui me résorbe.
***
Si je ris,
C'est la relique de l'usure
Qui m'affole,
***
Et si je pleure
C'est l'ambre de la bonne augure
Qui me console.
***
Pourquoi suis-je venu?
Commentaires
Enregistrer un commentaire